Mathilde Ferrand, doctorante en géographie à l’Université Lumière Lyon 2, laboratoire d’Etudes Rurales, présente ses travaux sur la précarité alimentaire en milieu rural.
Représentations collectives
En milieu rural, l’alimentation des personnes en situation de pauvreté a jusqu’à présent été peu pensé. Elle a également été peu prise en charge par les politiques publiques. En rural, rares sont les politiques alimentaires territoriales orientées sur l’accessibilité alimentaire. Les représentations relatives à ces territoires peuvent en partie expliquer cette situation. Les territoires ruraux ont longtemps été perçus comme protégés par l’autoproduction et la proximité avec les lieux de production. L’accès à une alimentation saine et diversifiée à moindre coût serait facilité et l’idée selon laquelle en milieu rural « on se débrouille » est assez prégnante. Aussi, plus largement, la faible visibilité de la pauvreté rurale à participé à masquer la problématique de l’accessibilité alimentaire dans ces territoires.
Diversité des territoires ruraux
Aujourd’hui au cœur de nombreux débats, la pauvreté rurale reste difficile à appréhender en raison de la diversité des types d’espaces ruraux et des dynamiques qui les animent. Entre un territoire périurbain et un territoire de très faible densité, entre un territoire rural vieillissant et un territoire attractif, les populations qui vivent des situations de pauvreté, le vécu de celle-ci et les difficultés rencontrées ne seront pas les mêmes. L’accès à l’alimentation sera aussi différent. Pour autant, malgré la grande diversité des territoires, des spécificités à la pauvreté rurale ont été relevées. Elles interrogent l’accès à l’alimentation des personnes en situation de pauvreté en milieu rural.
Dans de nombreux territoires ruraux, l’usage de l’automobile est rendu indispensable par la faiblesse des services de transports. Cependant, les populations en situation de pauvreté bénéficient d’un moindre accès à un véhicule personnel en raison du coût du permis de conduire mais également du budget que nécessitent l’achat et l’entretien d’une automobile. Par ailleurs, lorsqu’ils en possèdent une, les ménages en situation de pauvreté doivent restreindre leur mobilité en raison des coûts importants que ce mode de transport occasionne. Ces difficultés influencent les pratiques d’achat alimentaires des populations rurales en situation de pauvreté. Elles restreignent leur choix concernant leur lieu d’approvisionnement. Les ménages qui disposent d’un véhicule personnel sont contraints de réaliser un calcul précis, prenant en compte le coût des denrées dans un lieu de distribution donné ainsi que celui du déplacement effectué pour s’y rendre.
Les difficultés de mobilité peuvent également se répercuter sur l’accès à l’aide alimentaire. Certaines associations, conscientes de cette problématique, essaient d’adapter leurs dispositifs. Dans l’Ain, la mise en place de Croix-Rouge-sur-Roues, un dispositif d’aide alimentaire itinérant ou du « Camion cuisine », un camion qui invite à cuisiner ensemble des produits de la banque alimentaire, témoignent d’une réflexion des associations sur l’isolement et le poids de la mobilité en rural. D’autant plus que les difficultés de mobilité sont combinées à l’éloignement des dispositifs d’aide. Dans certains territoires ruraux, ils sont peu présents.
Enfin, en milieu rural, la présence d’une forte interconnaissance constitue une caractéristique ambivalente dans l’accès à l’aide notamment en termes alimentaires. L’importance de la visibilité sociale peut être un frein à l’expression du besoin. Aussi des ménages peuvent refuser de bénéficier d’une aide alimentaire par crainte de rencontrer des personnes qu’ils connaissent, de voir leur situation exposée.
Face à ces difficultés, des stratégies sont mises en place par les personnes qui vivent des situations de pauvreté. Par exemple, congeler pour éviter de gaspiller ou comparer les prix de différentes enseignes. Le jardin est aussi souvent une voie envisagée, pour mieux manger et faire des économies. Seulement, comme évoquer précédemment, accéder à un lopin de terre à cultiver ne va pas forcément de soi.
Pour aller plus loin:
FERRAND Mathilde, « L’accès à l’alimentation des ruraux en situation de pauvreté. Dispositifs d’aide et stratégies individuelles dans la Communauté d’Agglomération du Bassin de Bourg-en-Bresse », Pour, 2021/1 (N° 239), p. 55-67. DOI : 10.3917/pour.239.0055. URL : https://www.cairn.info/revue-pour-2021-1-page-55.htm