La recherche présentée ci-après a été menée par Emilie Lanciano, Alexandrine Lapoutte et Séverine Saleilles. Elle provient de deux constats.
Le premier, c’est qu’il y a aujourd’hui de nombreux consommateurs qui ne peuvent pas accéder à l’alimentation durable :
- Parce qu’ils n’ont pas un niveau de revenu suffisant
- Parce qu’il n’y a pas de commerces adaptés ou un marché de producteur près de chez eux,
- Parce qu’ils n’ont pas les compétences pour choisir les produits et les cuisiner,
- Parce qu’ils n’ont pas conscience des dérives du système agro-industriel, et de leur pourvoir en tant que consommateur
Le deuxième c’est qu’il y a deux cartes qui se superposent dans la région lyonnaise : celles des quartiers populaires, où habitent ces consommateurs éloignés de l’alimentation durable et celle des taux de maladies liées à l’alimentation.
Des organisations se sont emparées de ce problème social. Nous les avons étudiés, et nous nous sommes intéressés à ce qu’elles font, concrètement, pour favoriser l’accès de ces habitants à une alimentation de qualité. Pour lever le frein économique, elles proposent des tarifs en fonction du niveau de revenu des clients ou encore cherchent à réduire les coûts de distribution par le bénévolat. Mais finalement, ce qu’on constate, c’est que cet effort sur les prix est loin d’être suffisant. Il faut aussi travailler la dimension spatiale et pratique de l’accessibilité. Cela veut dire avoir une stratégie d’implantation géographique non liée au potentiel commercial et s’adapter à ce que veulent ces clients à bas revenus : donc les écouter en réalisant régulièrement des enquêtes. Mais aussi accepter d’être peut-être moins solidaires avec les producteurs
Mais il ne suffit pas de régler les problèmes de répartition ou d’adaptation de l’offre commerciale en alimentation durable.
La justice alimentaire – qui est née aux Etats-Unis – défend l’idée que le problème d’accès n’est ni seulement spatial ni seulement économique. C’est une question de pouvoir : il ne s’agit pas seulement d’avoir accès à l’alimentation mais d’avoir la capacité de faire entendre sa voix pour avoir accès à.
Dans cette approche, l’accès à l’alimentation devient un outil pour aider à l’inclusion sociale et économique des personnes précaires. Il s’agit de rompre l’isolement, de créer de l’activité économique, valoriser les compétences des habitants.
Surtout, les structures que nous avons étudiées cherchent à développer l’empowerment, l’autonomisation des consommateurs à bas revenus. Il s’agit de les sensibiliser aux enjeux du système alimentaire, de les reconnecter au monde agricole – par des visites de ferme par exemple. Mais aussi de développer leurs compétences en cuisine ou jardinage. Finalement, un élément clef semble être la participation même de ces consommateurs à bas revenus aux prises de décisions (sur l’assortiment, l’organisation, etc.) et à la gouvernance de la structure.
Mais proposer un atelier de cuisine à un habitant d’un quartier populaire ne va pas forcément le transformer en client d’une AMAP. Il faut donc trouver un moyen de financer ces actions d’éducation ou de sensibilisation, qui sont indispensables pour avoir un impact social. Et conserver l’équilibre entre création de valeur économique et sociale nécessite une forte créativité !
La solution se trouve sans doute dans les complémentarités entre organisations. D’où l’intérêt de bien comprendre la diversité des organisations qui disent faire de la justice alimentaire.
Dans cette optique, nous avons développé un outil. Il propose un diagnostic automatiquement généré après complétude d’un questionnaire d’une quinzaine de minutes. Cela permet à l’organisation un retour réflexif sur sa conception de l’accès à l’alimentation de qualité pour tous, sur sa stratégie et sur ses pratiques.
Nous souhaitons ainsi aider ces organisations à mieux articuler leurs missions respectives pour construire un système alimentaire plus juste.
Pour aller plus loin:
Camille Hochedez, Emilie Lanciano, Julien Noel et Séverine Saleilles, « La transition à l’épreuve de la justice alimentaire : construction d’un répertoire de pratiques dans 5 initiatives à Angers, Lyon et Poitiers », Géocarrefour [En ligne], 96/4 | 2022
Synthèse parue dans le blog Urban Food Futures : Accès à l’alimentation en ville : pas de développement des initiatives sans compréhension de leur modèle d’affaires