Nous nous intéressons ici au système alimentaire qui est constitué par l’ensemble des activités économiques et des acteurs qui concourent à la satisfaction des besoins alimentaires des hommes.
Au centre des systèmes alimentaires, se trouve l’activité agricole et donc l’agriculteur ou l’agricultrice, toute personne qui gagne sa vie, en élevant ou produisant des organismes vivants, soit pour l’alimentation, soit pour les matières premières (par exemple, le coton).
Dans toutes les langues, on trouve différentes façons de désigner ceux et celles qui travaillent dans le secteur agricole : les fermiers, les paysans, les agriculteurs, les entreprises agricoles. Ces différentes appellations révèlent différentes conceptions et fonctions de l’action agricole.
Tout d’abord, le paysan ou le fermier travaille la terre dans une ferme. Il fait référence aux activités quotidiennes ancestrales que l’on retrouve dans toutes les sociétés. Le paysan est un travailleur de la terre et de la nature ; son activité, son lieu de travail coïncide directement avec la famille et la communauté locale. Le paysan a donc une activité nouricière. On pense d’emblée à des structures de taille réduite et simple, qui commercialise leur production dans des circuits courts comme la vente directe ou les marchés.
La deuxième façon de représenter l’activité agricole est celle de l’agriculteur professionnel qui gère une exploitation de taille plus importante, emploie de la main d’œuvre, comme un véritable chef d’entreprise. Il utilise des techniques de production performantes et adopte des processus de production intensif. Cela correspond évidemment à une conception plus moderne centrée sur des objectifs de rendements et de productivité.
Evidemment, ces représentations ont été construites dans l’histoire, et révèlent les transformations du métier et de l’activité agricole. L’après-guerre en Europe comme aux USA a été marqué par la nécessité de nourrir le monde. Les systèmes agricoles ont été alors considérablement modernisé en utilisant les technologies afin d’augmenter les rendements. L’activité agricole s’est donc professionnalisée et la figure du paysan s’est effacée au profit du chef d’exploitation. Les conditions de vie et de travail des agriculteurs se sont améliorées.
Toutefois, ces systèmes agricoles productivistes ont connu ces dernières années de nombreuses crises sanitaires, crises de production qui ont considérablement affecté le quotidien des agriculteurs, réduisant leurs revenus, augmentant leur dépendance aux circuits de commercialisation.
C’est dans un contexte que l’on voit apparaître des systèmes alimentaires plus durables et un retour de l’acteur paysan.
Des nouvelles générations d’agriculteurs, issus ou non du monde agricole, développent de nouvelles pratiques de travail, de culture, de nouvelles techniques fondées sur des savoirs anciens et entendent revenir à l’identité du paysan et du fermier d’autrefois. Comme ceux qui sont décrits dans les vidéos et portraits, il s’agit pour eux de trouver un rapport à la terre et la nature plus authentique, en utilisant par exemple leur propre semence, en utilisant des engrais naturels, mais également en maitrisant leurs débouchés et en reconnectant avec les consommateurs lors de vente à la ferme, de marchés, de paniers.
En réalité, ces nouveaux agriculteurs ne sont pas vraiment comme leurs ancêtres les paysans : s’ils retrouvent en effet un nouvel ancrage à la terre et aux techniques agricoles, ils sont amenés à sortir de leur ferme pour échanger avec d’autres acteurs et à développer de nouvelles activités comme la restauration, l’hébergement, la formation etc…
Finalement, ces nouveaux paysans développent des compétences de différentes natures et fondent leurs activités sur des modèles économiques complexes et innovants qui sont porteurs de nombreux enseignements bien au-delà des spécialistes de l’agriculture et de l’alimentation.
Cette partie « Produire autrement » présente 4 couples d’agriculteurs.trices, entrepreneures en milieu rural sur le même territoire, des monts du lyonnais entre Lyon et Saint-Etienne.
Ces 4 couples de générations différentes décrivent de façon complémentaire les facettes d’un système alimentaire durable. Ils ont en commun de produire en agriculture biologique, de privilégier les circuits de débouchés courts en prenant en compte la commercialisation de leurs produits. Surtout, ils donnent à voir des systèmes complexes dans lequel les contraintes économiques, financières, environnementales, personnelles et organisationnelles sont articulées. Au cours de ces entretiens, ils nous expliquent les choix stratégiques qu’ils réalisent, sur la base de leurs expériences, de leurs valeurs, des échanges avec d’autres producteurs, consommateurs, et les difficultés qu’ils traversent. Paysans, fermiers, exploitants, ou entrepreneurs, ils se révèlent comme des acteurs économiques et stratégiques qui façonnent leur environnement et leur organisation de façon singulière, en se démarquant des normes et règles de gestion traditionnelle des entreprises agricoles et des entreprises en général.
Pour cela, le territoire dans lequel ils sont inscrits, semble intervenir comme un terreau particulier favorable à ce type de stratégie et de système, aux niveaux économiques, historiques et sociales.
Pour aller plus loin
– Dufour, A. & Lanciano, É. (2012). Les circuits courts de commercialisation : un retour de l’acteur paysan ?. Revue Française de Socio-Économie, 9, 153-169. https://doi.org/10.3917/rfse.009.0153
– Mondy, B. (2014). Agriculture de services et évolution du métier d’agriculteur. Pour, 221, 87-96. https://doi.org/10.3917/pour.221.0087
– Lanciano, É. & Saleilles, S. (2020). Saisir l’agir entrepreneurial en agriculture : une analyse de l’apprentissage à la commercialisation en circuits courts par la trajectoire de projet [1]. Revue de l’Entrepreneuriat, 19, 31-56. https://doi.org/10.3917/entre.194.0031
– G. Laferté, 2021,Loin de l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français, The Conversation, 13 octobre 2021